Bure, 10h30 : un appel téléphonique et un épais nuage noir à l’horizon nous signalent qu’une barricade du bois Lejuc est en feu ; la police est à Vigie Sud. Nous nous équipons en vitesse, puis partons en courant ou en vélo pour rejoindre nos ami-e-s qui résistent.
En approchant de Vigie Sud, nous constatons que la quinzaine de gendarmes – deux fourgons et trois voitures – est repartie, les hiboux sur place ont défié le coup de pression. La barricade la plus avancée vers la route n’a pas fini de brûler, qu’ielles sont déjà en train d’en faire une nouvelle, bravo les ami-es ! Pensant que l’escouade ira à Barricade Nord, nous nous y rendons massivement pendant que des copain-ines restent là au cas où les forces du désordre reviendraient.
Atteignant Barricade Nord, nous attendons dix minutes avec les copain-ines déjà présent-es…
« Ca arrive ! » nous signale un hiboux. Vite, nous nous masquons à nouveau le visage, un-e copain-ine médic se prépare et nous rangeons les sacs et vélos qui pourraient gêner nos déplacements – la sécurité au travail, c’est important ! Dans le même temps, nous enflammons une barricade pour les maintenir à distance. Tout cela est fait en moins d’une minute.
A une quarantaine de mètres, les gendarmes se sont arrêtés. Une dizaine s’est formée en ligne, elle est accompagnée du commandant Dubois, qui malgré son nom ne vaut pas le sous-commandant Marcos.
Pendant cinq minutes on s’observe de part et d’autre de la barricade enflammée. Un-e copain-ine se casque et s’empare d’un bouclier, passe la barricade en feu et se tient prêt-e, à 30m des forces du désordre. Quelques hiboux le rejoignent, pierres à la main.
Un-e ami-e, très impliqué-e dans les actions juridiques, se propose d’aller à la rencontre de l’escouade.
En effet, cette nuit à 4h a été déposé un référé contre le vote qui a eu lieu jeudi dernier (18 mai) par le conseil municipal de Mandres. Ce référé, porté par 33 habitant-es de la commune – soit un tiers des majeurs du village ! –, est suspensif. Conséquence : l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA), qui porte le projet d’enfouissement, ne peut se prévaloir d’être propriétaire du bois. Tenter de nous expulser maintenant n’est donc pas vraiment légitime… Nous acceptons que le/la copain-ine aille dossier en main informer le Commandant Dubois sur les derniers développement de la situation. Il semble la découvrir.
Pendant ce temps, les hiboux sont nombreux-ses à avoir passé la barricade et ne sont plus qu’à 20m des gardiens du désordre.
D’autres, aussi discret-es que le vent dans les arbres, se glissent dans la forêt en direction de l’équipe bleue, pour s’assurer qu’une partie d’entre-elle n’est pas en train d’entrer dans le bois pour nous prendre à revers. Ces habitant-es du bois ne sont qu’à 10m de la brigade. Ielles la voient, l’entendent, épient leurs déplacements, prêt-es à faire diversion si celleux resté-es sur la route sont en difficultés, ou à lancer un signal en cas d’intrusion.
Lentement et sur ses gardes, la brigade commence à marcher à reculons. Une minute plus tard, les gendarmes sont sous le coup de jets de pierres issus du bois et du chemin. Le but ? Montrer que nous sommes déterminé-es à garder le bois. Ainsi, si des décideurs politiques veulent nous expulser, ils devraient assumer des coûts et risques politiques si importants, que cela les incite à repousser cette décision. Ce statut quo nous est favorable : chaque jour qui passe est un jour où l’ANDRA est bloquée dans ses projets sur le bois.
L’escouade a deux flancs à défendre, dont un attaqué par des adversaires invisibles dont les pierres ne sont perceptibles qu’au dernier moment. Elle est submergée et peine à se protéger, d’autant que la pluie de pierre s’accentue et que les hiboux s’avancent avec de plus en plus d’assurance. Les gendarmes regagnent leurs fourgons et commencent à partir dans la précipitation. Deux tirs d’un lanceur de balle de défense (LBD) partent en direction de la forêt ; ils ne touchent aucun hibou. Une pierre quant à elle fait mouche sur une vitre arrière, une belle toile d’araignée s’y dessine au point de ne plus voir à travers.
Les forces du désordre sont parties, le bois n’est plus menacé, les hiboux hululent de joie et se prennent dans les bras. Ce soir, nous ferons la fête !