Déclaration de Christian à son procès le 13 février

Nos deux amis poursuivis pour avoir participé à la manifestation du 15 aout 2016 qui a vu voler en éclat un kilomètre du mur de l’Andra risquent 4 à 5 mois de prison avec sursis. L’Andra demande également une amende de 12 000 euros. Le rendu sera donné le 10 avril. Plusieurs messages de soutien nous sont parvenus de partout en France. 

Voici la déclaration de Christian au tribunal :

« Monsieur le Juge, je n’ai jamais aimé et je n’aime pas les projecteurs. Monsieur le procureur me contraint à la lumière. En gendarmerie de Commercy, le 21 novembre 2016, je n’avais rien à déclarer. Aujourd’hui, c’est mardi-gras. Je ne me déguise pas, je me mets à nu. 

Accusé d’avoir dégradé ou détérioré volontairement un mur appartenant à l’Andra à Mandres en Barrois, je dis non, je n’en suis pas coupable. Oui j’étais dans le bois Lejuc, le week-end du 15 aout 2016, mais je n’ai pas détérioré le mur. Je suis pourtant solidaire de cette action et fier du résultat. 

Car ce mur qui s’est inquiété du droit de l’Andra à le construire ? Qui a ordonné aux gendarmes mobiles de protéger sa construction ?

Oui, nous étions dans la forêt, abandonnée par les vigiles puis par les gendarmes, le samedi 13 aout, suite à notre dénonciation de l’illégalité du saccage du bois, et suite au jugement de défrichement illégal puis de la construction illégale du mur du 1er aout 2016. 

D’ailleurs l’Andra est elle réellement propriétaire du bois Lejuc ? Pourquoi cette affaire traîne-t-elle autant, alors que de nombreux procès, conséquents à cette histoire, nous tombent dessus et nous condamnent ? 

Oui, j’étais dans la forêt et pas par hasard. Alors que je n’aurai sans doute jamais dû connaître ce coin de Bure. Pour me retrouver face à ce mur il a fallu qu’un jour de décembre 1993, je tombe sur la Une de l’Est Républicain informant que la Meuse était candidate à l’un des laboratoires souterrains destinés à étudier les formations géologiques profondes où seraient susceptibles d’être stockés ou entreposés les déchets radioactifs à haute activité et vie longue. Cette candidature était signée par les 31 conseillers généraux meusiens. Il a fallu que je m’informe dans une réunion à Verdun, proposée par des associatifs, sur ce fait accompli. 

La Meuse n’a-t-elle déjà assez de tombes, qu’il lui fallut en plus un tombeau radioactif ? 

Je savais dès la création des centrales nucléaires, que le problème évincé était celui des déchets radioactifs. Je savais que des manifestations dans d’autres régions avaient refusé l’implantation directe d’une poubelle nucléaire HAVL-MAVL (haute activité à vie longue, moyenne activité à vie longue) et qu’un moratoire avait accouché de la loi Bataille 1991 qui introduisait le leurre d’un laboratoire de recherche pour étudier l’enfouissement en grande profondeur. 

Je me souvenais aussi que le président du Conseil général Rémi Herment avait réagi en mettant en avant qu’utiliser l’espace souterrain pour le stockage des déchets nucléaires, c’est faire courir aux générations futures un risque dont nous ne pouvons mesurer aujourd’hui la portée. Il ajoutait toujours en séance du Sénat du 6 novembre 1991, «  on constate que le fait d’avoir été choisi ou d’être ultérieurement choisi comme dépotoir du pays fait naitre une frustration profonde ».

Alors je ne comprenais pas cette trahison meusienne et comme j’étais meusien, je me devais d’y répondre et dépasser mon statut de simple opposant occasionnel depuis l’installation des réacteurs des années 1970. Alors j’ai connu Bure et j’y suis venu souvent. J’étais content d’œuvrer à notre Maison de Résistance pour bénéficier d’un abri. Je suis Meusien mais de l’extrême nord.

J’ai même manifesté le 17 décembre 1994 à Chaumont contre le labo avec Dominique Voynet qui nous trahira à son tour en signant la construction du labo le 3 août 1999, en qualité de ministre de l’environnement. 

Et maintenant CIGEO apparaît tout beau mais nous n’en voulons pas de ce tombeau radioactif pour plus de 100 000 ans tout comme Nicolas Hulot photographié disant Non à CIGEO. Espérer que l’argile saura confiner la radioactivité évadée des fûts et des alvéoles de béton, oui, c’est du domaine de la croyance et non de la science. Est-il éthique d’oublier nos déchets, de les abandonner au future ? 

Pour les nucléocrates, c’est la solution qui permet de relancer un nouveau cycle d’électricité nucléaire en prolongeant nos réacteurs ou en développant l’EPR. On ne sait quoi faire des déchets radioactifs mais on veut toujours en continuer la production. La baignoire déborde, on éponge, on ne ferme pas le robinet.

Je ne peux me résoudre à attendre un accident, à imaginer que Cattenom pète et que Thionville, Luxembourg et peut-être Metz soient rayées de la carte pour des années. En cas d’accident qui seront les plus gros aboyeurs ?

Je viens de tout cela et ce mur portait tout cela. Il portait toute l’arrogance de l’Andra, les diverses trahisons.

Il portait les 31 signataires des conseillers généraux meusiens et la lâcheté de 7/8 élus qui ont lâché le conseiller général Arsène Lux au moment de demander en séance plénière une rediscution de la signature du labo reconnaissant une procédure plutôt cavalière. 

D’ailleurs ce dernier, Arsène Lux, se réveille et a pétitionne contre Bure et l’enfouissement en grande profondeur. 

Le mur portait les 40 000 signatures recueilles dès septembre 1994 contre le labo puis les 60 000 autres signatures pour un référendum – des signatures physiques, il n’y avait pas internet à l’époque. Des signatures physiques immédiatement ignorées des Conseillers Généraux. Il portait les 101 signatures de médecins contre ce projet. 

Le mur portait aussi la perturbation de nos vies, notre temps sacrifié sur nos deniers personnels, toute la pression policière et tous nos risques encourus, et sans oublier la mort de deux ouvriers sur le chantier et surtout Sébastien Briat happé par un train de déchets radioactifs le 7 novembre 2004 à Avricourt. Je n’oublie pas les nombreux et nombreuses ami.e.s de lutte déjà décéd.e.s ou épuisé.e.s 

Alors comment ne pas être fier.e.s de sa chute, il était si lourd, ce mur ! 

Pouvait-on à sa libération du 13 aout simplement s’asseoir et pique-niquer puis repartir ? On nous l’offrait illégal, fictif. Il suffisait de tirer, de pousser, il tombait et se cassait. Il alignait ses dalles en un cimetière de l’Andra et les noms des signataires, à mes yeux, s’y incrustaient stèle à stèle. 

Bien sur, l’Andra réduit ce mur à une valeur marchande mais vaut-il plus que nos pas, nos heures, nos kilomètres, notre éthique…L’Andra nous invitait dans sa publicité pour les portes ouvertes du 25 septembre à trouver plus simple pour venir les voir que se hisser en haut du mur. N’a t-on pas trouvé plus simple ? 

Oui j’étais dans le bois Lejuc. Je n’ai pas dégradé le mur mais je suis solidaire de sa chute. 

Je ne regrette aucunement ces trois jours et je me souviens qu’ils purent finir dans l’horreur quand un gendarme décida , après arrêt, à fendre de nuit, notre groupe encore fort d’une centaine de personnes avec son véhicule sur l’étroite route menant de Bure à l’antenne. C’était le 15 aout 2016. 

Je suis aussi accusé d’avoir refusé de me soumettre à mon prélèvement biologique. 

Suite à une convocation pour une audition libre, je me suis rendu à Commercy le lundi 21 novembre 2016. Je n’avais rien à y déclarer. J’essayais de comprendre pourquoi j’étais là. J’ai trouvé bizarre que mon questionneur interpellât plusieurs fois son collègue sur ordinateur pour savoir s’il n’avait pas trouvé mieux. Il ne trouva pas mieux. Au final, j’ai compris quand mon interlocuteur me présenta des photos sensées me représenter et m’accuser. Ils avaient hésité. Ils doutaient. Au premier regard j’ai compris que ce n’était pas moi. Je ne déclarai rien. 

J’appris que je devais passer aux prises d’empreintes, de photos et d’ADN. Etonné, après avis, j’acceptais toutefois de donner mes empreintes et de passer aux photos, je ne pensais pas ressentir si violemment ces expositions anthropométriques. Je me sentais jugé, au seuil de la cellule. Je regrettai mon consentement. Je ne voulais pas du prélèvement ADN, que je juge abusif et du domaine de l’intime, pas seulement de mi-même mais aussi du familial.

Sur ces photos, ce n’était pas moi. Jamais je n’ai été vêtu comme cela. Connaissant les tiques du bois Lejuc je veillais à m’en protéger. Je devais être jambes et bras couverts et avec des chaussures de marche.

 Je n’étais pas coupable. Ma seule présence dans le bois Lejuc, suffisait-elle à justifier la prise d’ADN ? Je refusais d’entrer dans ce fichier particulier, qui résonne avec violeur, criminel, terroriste dans ma tête. Je quittais le bureau après deux heures d’audition. J’avais 15 jours pour me décider à ce prélèvement. Aux termes des deux semaines, je n’ai pas téléphoné.

J’ai douté que l’Andra condamnée plusieurs fois ait accepté sa prise d’ADN, cette ANDRA invisible dont on ne connaît que les avocats, les publications et les vigiles. 

Aujourd’hui encore Pierre-Marie Abadie, directeur général en exercice de l’Andra refuse de témoigner et de s’expliquer, se réfugiant encre derrière une possible amende de 3750 euros qui le libère de la justice. 

Me voici donc aujourd’hui devant vous, toujours aussi étonné. Je n’ai pas dégradé le mur, j’en étais physiquement incapable. Je n’ai pas consenti au prélèvement ADN, parce que ce n’était pas moi sur les photos sensées m’accuser. Je ne veux pas être une erreur judiciaire. 

Dans ma vie, j‘ai souvent payé au pris fort ma liberté. Là je défends ma fierté de dénoncer les agissements de l’Andra et depuis 24 ans, avec mes seules armes de citoyens, avec mes seuls droits. Là se joue notre fin de vie plus ou moins agréable. Sommes nous des malfaiteurs à nous soucier des générations futures, futures, futures… En refusant de leur léguer un tombeau nucléaire qui tombera dans l’oubli ? Je ne veux pas être une erreur judiciaire.