Témoignage de l’expulsion de la cabane du grand chêne à 25 m de hauteur

Nous avons été réveillé.e.s par un coup de téléphone à 6h30 du matin. Il faisait encore nuit mais par terre à 25 mètres en dessous de nous on voyait des lumières. On s’est demandé si c’était des copain.e.s mais les projecteurs éclairaient la cabane, il faisait clair comme en plein jour, ce ne pouvait être que des gendarmes. Au téléphone, la même nouvelle est confirmée, vigie sud, vigie sud est et barricade nord sont cernées et envahies par les militaires.

Quand le soleil s’est levé on a vu une vingtaine de gendarmes en dessous de notre arbre. Parmi eux, deux gradés. Nous sommes sorti.e.s sur les branches pour avoir une meilleure vue, on restait en contact avec les copain.e.s en dehors du bois grâce au téléphone. On s’est fait du thé et  et on s’est dit qu’on allait rester là des semaines. Il faisait moins 2 dans la cabane mais on avait de bonnes couvertures et beaucoup de nourriture ! De quoi tenir un siège !

Malheureusement tout est allé beaucoup plus vite. Vers 8 h, il y a eu la relève de l’équipe de gendarmes et peu après des militaires spécialisés dans la grimpe, ils ont d’abord lancé une corde sur une arbre qui était connecté au nôtre par une tyrolienne. Un gendarme est monté et a voulu couper la tyrolienne. Mais en se mettant sur la tyrolienne de l’autre côté, et après quelques échanges tendus où les gendarmes se rendaient bien compte du risque qu’ils nous faisaient encourir, ils ont abandonné l’idée.

Déçus de leur défaite, ils se sont rabattus vers un autre arbre relié par le pont de singe et ont déployé un long bras qui était sans doute un sécateur télescopique pour couper les cordes.  A nouveau, l’un.e de nous s’est mis dessus. Une deuxième équipe a entrepris de lancer leur corde directement sur le grand chêne avec une catapulte.

Ils ont aussi pointé leurs armes contre nous en disant qu’ils pouvaient tirer si on bougeait ou si on s’approchait de leur matériel. L’un.e d’entre nous toujours sur le pont singe était visé.e mais malgré les menaces et la tension, ille est retourné.e dans la cabane où nous nous sommes retrouvé.e.s.

On a masqué toute les fenêtres laissant les gendarmes dans le doute de ce qu’il se passait à l’intérieur. On a attendu longtemps, on s’est demandé si on se mettait nu ou pas.  Nu, ça avait aussi un sens, une occupation c’est de mettre son corps face à la machine, c’est de défendre la vie, montrer notre vulnérabilité et mettre les gendarmes face à leur violence. Finalement on s’est dit qu’ils allaient rien comprendre et il faisait quand même moins 2 degrés !

On a opté pour quelque chose de plus didactique. On a fait chauffer de l’eau, on a ouvert des biscuits et une tablette de chocolat. On s’est donné de la force l’un à l’autre. Les gendarmes sont arrivés sur la plateforme, devant la porte.

– Madame monsieur on va rentrer !

– Faites comme tout le monde toquez !

Le gendarme était seul et un peu gêné, il ne savait pas trop à quoi s’attendre. Il a ouvert la porte, il semblait décontenancé par la situation et a commenté la beauté du lieu. Assez ironique vu la raison de sa visite…  S’en est suivi une conversation de plus d’une heure qu’on peut vous épargner, on en garde  juste quelques pépites :

– Chacun a ses convictions mais tout le monde fait son travail. Par contre pour changer les choses il faut tout changer d’un coup

-Vous êtes pour la révolution alors ? Silence. Fermez la porte et coupez la corde !

Malheureusement, il n’est pas allé au bout de ses propos et un de ses collègues est arrivé. On leur a donné l’ordre de nous faire descendre. Il a obéi et a coupé court à la discussion. On a pris nos affaires personnelles et ils nous ont accrochés les bras dans le dos. Puis on a été descendu. A terre, on a subi un contrôle d’identité. Ils ont enchainé les blagues mesquines sur la destruction de notre maison. Ils jetaient du haut les couvertures qui explosaient dans un nuage de plume. Un gendarme ricane  » on dirait un oiseau mort ». Un autre sac s’écrase au sol dans un bruit de verre cassé.

Nous n’étions pas les seuls habitants du grand chêne. Un loir hibernait dans notre maison. Nous n’imaginons pas son réveil.

Les gendarmes pensent avoir détruit une simple cabane aujourd’hui. Ils obéissent aux ordres. En fait, par l’enfouissement des déchets les plus toxiques sous les racines du grand chêne, c’est toute une région et pour l’éternité qu’ils condamnent.