On parle de Bure, on appelle à y venir cet été, mais finalement il s’y passe quoi exactement ?
Bure c’est un village de 86 habitants dans la Meuse, à 250 k à l’est de Paris, dans un triangle entre St Dizier, Nancy et Chaumont où la densité de population est de 6 habitants au km².
Contrairement à ce que certainEs en pensent, ce n’est pas pas une région grise et hostile, couverte de champs et d’éoliennes, c’est un pays vallonné, dont les collines sont couronnées de forêts et où les vallons accueillent des pittoresques cours d’eau et étangs. Bref, un chouette endroit boisé qui aurait beaucoup à pâtir d’une poubelle nucléaire.
Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas eu de résistance dans la région, mais la faible densité de population a rendu le rapport de force bien inégal et en 1999 le projet de laboratoire pour l’enfouissement de déchets radioactifs de l’ANDRA [1] s’est établi dans la Meuse définitivement.
Les 5 années précédentes, comme dans tous les endroits pressentis pour le projet de l’ANDRA, les mobilisations avaient pourtant été houleuses : l’ANDRA avait été muré à Bar-le-Duc, des sabotages sur les forages, des manifestations de plusieurs milliers de personnes ont battu le pavé à Verdun, Bar-le-Duc, Nancy et Chaumont mais n’ont pas suffi à faire reculer le projet.
Le campement du 1er au 10 août à Bure n’est pas le premier de la région, un autre campement avait déjà eu lieu en été 2000, face au chantier du futur laboratoire, et avait rassemblé près de 2000 personnes. Plus tôt dans l’année, un immense mur de paille adossé au chantier avait été incendié en mars par 500 personnes venues de toute la France. Entre 2000 et 2007 plusieurs autres campements, actions et rassemblements seront organisés en face du laboratoire.
En 2004, les militants locaux du collectif Bure Zone Libre achètent une maison avec l’appui du réseau sortir du nucléaire, à Bure, et la restaurent pour en faire la Maison de la Résistance (avec une salle de réunion et un dortoir qui peuvent accueillir plusieurs dizaines de personnes).
Entretemps le projet s’est précisé : le projet initial de laboratoire dédié à l’étude du comportement des sols dans l’éventualité d’un enfouissement de déchets nucléaires est devenu un projet d’enfouissement de déchets nucléaires de haute activité et à vie longue (très radioactifs avec une activité de 100 000 à 1 million d’années).
Il ne devait pas y avoir de stockage de surface de déchets à faible radioactivité, et les derniers schémas de l’ANDRA montrent du stockage de surface au niveau du laboratoire. Et depuis 5 ans les projets initiés par l’ANDRA, le Commissariat à l’Énergie Atomique, Areva ou EDF se multiplient : un projet de gazéification du bois en vue de produire de l’agrocarburant a fait son apparition sous le nom de SYNDIÈSE au-dessus des villages de Bure et Saudron, tandis que des infrastructures s’installent à Gondrecourt et Haudelaincourt, que l’ANDRA rachète peu à peu une surface gigantesque de terrains dans la Meuse (elle en possède déjà 3000 ha). Depuis janvier 2015, des travaux de prélèvement puis de pose de balises de géomètres, ont en outre commencé tout au long d’une ancienne voie ferrée que l’ANDRA aimerait remettre en activité pour le transport de deux convois par semaine au moins de déchets nucléaires, depuis Gondrecourt jusqu’au laboratoire.
- vue globale
- La ZIRA = zone d’intéret et de recherche approfondie, est la zone qui accueillera les galeries souterraines
Si la résistance a perdu un peu de son offensivité des débuts, on peut y voir plusieurs raisons : en 2004, Sébastien Briat, un jeune de 22 ans, très investi dans la lutte antinucléaire lorraine, est happé par un train de transports de déchets et décède. Cet évènement dramatique met un coup au moral d’un grand nombre de militants locaux. Peu après, l’opposition au débat public, initiée par les militants locaux, produit un effet pervers de fatalisme devant le cynisme des institutions : un grand nombre d’habitantEs des environs se font une raison devant un adversaire qui bénéficie de tous les pouvoirs et droits. L’ANDRA échange des terrains qu’elle possède contre ceux dont elle ne dispose pas encore, brandissant la menace d’expropriation devant celleux qui lui résistent. L’argent coule à flot dans les municipalités : via le groupement d’intérêt public de la Meuse (GIP Meuse) tous les projets de rénovation, construction dans les villes et villages de la Meuse, reçoivent un appui d’a minima 15 % de l’argent corrupteur de l’ANDRA. 50 millions d’euros et bientôt 60 ont été débloqués pour acheter les maires de la Meuse et ceux de la Haute-Marne (soit donc 500 euros par habitantEs de la Meuse). Les maires qui s’opposent ne reçoivent rien du tout s’ils n’accèptent pas ces 15 % et finissent par soit démissionner, soit ne pas être réélus, soit enfin par céder à contrecoeur. On ne voit plus de village autour de Bure qui n’ait pas de nouveaux lampadaires, routes, égoûts, abribus, etc.
Les agriculteurs peu nombreux dans la région (beaucoup de gros propriétaires de plus de 200 ha) ont échangé leurs terres déjà, acculés par des nécessités de maintenir leur exploitation à flot. Mais depuis quelques mois ils se rendent compte que ce n’était qu’un avant-goût : un nouveau remembrement des terres est à l’ordre du jour. A terme c’est toutes les terres que l’ANDRA convoite.
Cette politique très aboutie de corruption au porte à porte, dans les mairies et chez les particuliers crée un climat de tension, de honte et d’amertume latente, où les langues se délient facilement pour médire de l’ANDRA mais se taisent quand on aborde la question des concessions.
Depuis quelques mois des coupes importantes ont lieu dans les forêts et les projets de Syndièse se précisent : des dizaines d’hectares de forêt meusiennes, avec le blanc-seing de l’Office Nationale des Forêts devraient passer à la broyeuse pour produire de l’agrocarburant. Des tractations ont commencé avec les mairies pour le rachat des forêts communales. Si on ne peut pas faire de lien entre les coupes qui ont eu lieu récemment dans les forêts autour de Bure et ce projet, on peut dans déjà s’inquiéter de la privatisation des forêts [2] pour produire des granulés de chauffage à grande échelle : les projets de scieries monstrueuses (projet avorté du Morvan) et de transformation du bois à des fins énergétiques fleurissent partout en France et menacent de nombreux arbres centenaires. Et ce n’est rien à côté de ce que Syndièse [3] va consommer : 90 000 tonnes de biomasse par an, soit donc 20 % des ressources forestières lorraines exploitables ; et il ne tient qu’à un tampon de l’ONF pour transformer un bout de forêt en exploitation.
Si on en revient au projet CIGÉO, plusieurs problématiques en font indéniablement le plus grand et nuisible chantier de France :
Regarder le film « Bure pour l’éternité » sur le centre d’enfouissement en Finlande permet de se rendre compte que l’enfouissement des déchets radioactifs n’est rien d’autre qu’un grand poker menteur organisé par des politiques et scientifiques véreux. A aucun moment, les spécialistes ne parviennent, aussi bien à l’ANDRA qu’en Finlande ou au WIPP [4] aux États-Unis à produire un discours cohérent et même rassurant. Ce n’est qu’une suite de spéculations et de réajustements par des apprentis-sorciers qui n’ont aucune idée des comportements géologiques des sols dans les 1000 ans à venir, et des contextes politiques des 50 ou 100 ans à venir.
Le projet consiste à creuser un tunnel de plus de 2km de long sous le village de Bure afin d’accéder à 260 km de galeries de stockage et 100 km de galeries de liaison, à 500m sous Bure, puis de les remplir et de sceller le trou après 130 ans d’exploitation.
Le tout avec la garantie prétendue qu’il n’y aura pas de fuite d’eau (ce qui pourrait s’avérer très dangereux en terme de corrosion ou d’interactions chimiques avec les produits stockés), pas de mouvements excessifs des sols (en 100 000 ans, il est pour le moins difficile d’estimer ce genre de choses), pas de fuites d’air contaminé par les cheminées d’aération et que pendant 100 ans on pourra inverser le processus et ressortit la poubelle de son trou.
Cette dernière condition est définie par le principe de réversibilité et doit faire l’objet d’une loi avant que tout projet d’enfouissement nucléaire puisse avoir lieu en France. Gérard Longuet, député de la Meuse, promoteur actif du lobby nucléaire, et ses amis ont ainsi tenté à 14 reprises d’introduire un amendement de réversibilité dans la Loi Macron et y sont parvenus à 4h du matin avec 40 députés dans l’hémicycle avant que le texte soit rejeté le 10 juin.
Plusieurs questions se posent : que vont devenir les milliers de tonnes de terre qui seront extraits de 300 km de galeries ? Seront-elles déversées, comme on le suppose, dans la superbe vallée d’Ormançon qui court au-dessus de Bure, au coeur de la forêt ? Et que va-t-il sortir des cheminées d’aération qui vont surplomber Bure à moins d’un km ? Quelle radioactivité sera mesurable au long d’une voix ferroviaire qui va accueillir a minima deux trains de déchets nucléaires par semaine ? Quelles surprises se cachent encore dans la boîte de pandore de CIGÉO quand on voit que le projet s’est enrichi progressivement de nouvelles excroissances hideuses, telle une hydre qui jaillit des souterrains du laboratoire et convoite toute la région autour ? La dernière question qui est posée par les opposants (et pas seulement [5]) c’est celle du gouffre financier qui s’annonce : le projet CIGÉO est d’ores et déjà chiffré à 42 milliards d’euros …
Au premier salon du nucléaire qui s’est tenu au Bourget en octobre 2014, on distribuait à l’entrée la carte ci-dessous, plutôt martiale et avec Bure au centre d’une cible de 80km de rayon pour l’implantation d’un « cluster de compétences nucléaires ». Cluster est un mot de l’ennemi indéniablement : il signifie quelque chose comme « on va prendre un territoire, le privatiser à fond et y implanter tout un tas d’entreprises, d’industries et d’écoles qui vont générer un maximum d’argent pour ces dernières, sous couvert de dynamiser la région ». Et quand on lit « nucléaire » derrière « cluster », qu’on se rend compte que le rayon recouvre tout un département, difficile de ne pas y voir le sacrifice organisé d’un territoire en vue d’y grouper tout ce que le nucléaire a à se reprocher. Quoi de plus idéal qu’un territoire qui compte 6 habitants au kilomètre carré pour se cacher des regards ? Surtout quand on a patiemment travaillé ce territoire au corps, par la corruption, la culpabilisation et l’acceptation.
La lutte à Bure ce n’est pas simplement une occupation opposée à un grand projet nuisible, c’est bien plus vital que ça : c’est la course contre la montre contre un projet monstrueux qui couvre la totalité d’un département et déborde sur ses voisins, qui va conduire à des conséquences irréversibles et désastreuses pour les 100 000 années à venir au moins. Car contrairement à ce qu’on croit, à Bure rien n’est encore joué tant qu’aucun déchet n’est entreposé dans une galerie. Et ça ne arriver à aucun prix ! C’est la lutte contre une société financière mondialisée qui détruit cyniquement les écosystèmes, privatise les sols, l’air, l’eau et le vivant pour en tirer le jus de ses bénéfices.
C’est toute la Meuse qui doit être occupée en résistance à ce projet !
Et c’est toute l’Europe qui doit se mobiliser contre ces projets !
Nous avons besoin de réseaux pour étendre la lutte, nous avons besoin de lieux pour l’ancrer dans la durée et de moments de convergence pour la concentrer et l’amplifier !
Notes
[1] Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, anciennement rattaché au Commissariat à l’énergie atomique et depuis 1991 et la loi Bataille, établissement public à caractére commercial et industriel (EPIC).
[2] Rapport de l’Assemblée nationale sur la biomasse au serivce du développement durable : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1169.asp
[3] Plus d’infos sur Syndièse sur http://mirabel-lne.asso.fr/content/syndiese
[4] Au printemps 2014, le WIPP aux USA, centre d’enfouissement construit sur le même modèle et les mêmes promesse que Bure, a connu un incendie qui a provoqué l’irradiation de 22 ouvriers, le dégagement de radioactivité par les cheminées d’aération et l’arrêt de l’exploitation et l’impossibilité d’extraire les déchets dans les galeries
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Pour plus d’infos sur le projet de l’ANDRA, Cigéo, le très complet bulletin des collectifs en lutte, BURE STOP
http://blog.doomfr.com/wp2/wordpress/wp-content/uploads/2015/05/burestop2014.pdf