« On ne nous atomisera jamais ! » – Retour sur le Printemps des luttes paysannes

Malgré la pluie, le ciel lourd et la terre argileuse collant aux bottes, dimanche 17 avril des centaines de personnes ont planté 100 kg de patates et semé à la volée 1ha d’orge et d’avoine pour enraciner la résistance à la poubelle nucléaire CIGEO et l’accaparement des terres de l’ANDRA. Sur le bord du terrain, une belle ambiance résonne entre accordéon, construction d’une cabane et cuisson d’un méchoui. Les participant-e-s plongent leurs mains dans la terre du champ délimité par des drapeaux claquant au vent (BureStop, la Confédération Paysanne, et le drapeau noir…) : « Des semis radieux, pas des champs irradiés ! »Retour en texte, photos et vidéo sur un super week-end… Et prochain rendez-vous à partir du 3 juin pour le Chantier buttage des patates puis pour les manifestations du week-end !

 

La vidéo de la journée (disponible sur Le nouveau jour J)

16 avril – « Rencontrer des alliés et partager ma situation »

Le 16 avril se tenait une journée de discussion sur le thème des résistances aux accaparements de terres et à l’artificialisation des sols : quelles sont les luttes en cours dans l’est de la France et au-delà ? quels sont les acteurs impliqués ? comment mieux se relier ? Alors que les Semis radieux du 15 novembre s’étaient déroulés sur une après-midi, l’objectif de cette journée était de prendre un plus long temps pour se rencontrer.

A cause de la pluie et de petits retards logistiques, les discussions du matin ont eu lieu à la Maison de résistance entre 15 à 20 personnes. L’occasion de refaire le point sur le processus d’appropriation foncière mené par l’ANDRA depuis des années : 3000 ha accaparés, 2000 ha de forêts, 1000 ha de terres agricoles (avec la complicité des SAFER et la menace de contrôles et d’expropriations) pour environ 15 millions d’euros, entraînant augmentation des prix et difficulté d’accès à la terre pour de nouveaux-elles agriculteur-ice-s. Cinq fois plus que les « besoins réels » en surface, estimés à 600 ha (estimations qui ne cessent de grimper : 300 ha en 2013, et 100 ha 2011). L’opportunité, aussi, de présenter les dossiers rédigés à cet effet (en version complète ou version résumée).

L’occasion, aussi, de rencontrer de nouvelles personnes comme Pascal (prénom changé), ancien agriculteur venu de Stenay, à la frontière bruxelloise, qui lutte contre un « projet de zone commerciale » menaçant son terrain, « alors que les autres sont vides ». « C’est la première fois que je viens ici, pour rencontrer des alliés et partager ma situation » explique-t-il.

Tout au long de la matinée les participant-e-s arrivent, de Dijon, des Vosges, d’Alsace, de Paris, de Rouen, d’Albertville, de Meuse, de Haute-Marne, etc. L’après-midi, après un retour sur la dynamique du collectif Terres de Bure, la soixantaine de personnes présentes a prolongé les discussions en plus petits groupes : comment habiter nos territoires, s’ancrer localement et se relier ? comment « faire réseau » entre les différentes personnes et collectifs en lutte contre les accaparements de terre, et comment toucher les mondes agricoles ?

DSC_0017Au retour des commissions, quelques perspectives s’échangent pour les mois à venir pour que cette rencontre ne reste pas lettre morte. « Vous ne croyez tout de même pas qu’on va vous laisser repartir chez vous tranquille et butter les patates tou-te-s seul-e-s ? Il nous faut un prochain rendez-vous pour entretenir notre champ ! » annonce un des organisateurs de la journée. Un autre participant, venu d’un collectif des Vosges, propose aux motivé-e-s la création d’un collectif Reclaim the Fields Nord-Est. Une prochaine grande assemblée est aussi évoquée à l’occasion des 200 000 pas du 5 juin. Les gouttes perlent sur le barnum, les rires et les propositions fusent, et la fête se prépare. « Le bar est ouvert ! » sonne le début de la soirée.

A la nuit tombée, après de difficiles réglages, une projection du court-métrage Anomalie du collectif des Scotcheuses (sur la lutte contre le puçage des moutons) se lance sous l’imposant préau en bois construit par des copain-e-s de Roybon lors du dernier chantier collectif. La belle cathédrale boisée se fait cinéma en plein air. « On voit que ça a beaucoup évolué depuis le campement, c’est chouette ! » s’exclame un ami parisien, qui n’était pas revenu depuis l’été, devant la construction. C’est la première rencontre publique sur le terrain de l’ancienne gare de Luméville depuis le campement antiautoritaire et anticapitaliste d’août 2015. Entre temps, de nombreux chantiers collectifs ont aménagé le terrain en le dotant d’espaces d’accueil et d’organisation.

DSC_0013

Plus tard, alors que les discussions s’éternisent près de la tireuse à bière ou du grand braséro, une clameur de trompette retentit dans le lointain. Une foule se masse, en procession carnavalesque, derrière un mannequin en paille grandeur nature bricolé à la hâte. « Brûlons Manu ! » « Brûlons Manu ! » clame le cortège dans de grands cris d’allégresse. La moustache griffonnée sur le sac blanc qui mime la tête permet de reconnaître l’effigie du bonhomme de paille : celle d’Emmanuel Hance, le négociateur foncier de l’ANDRA, symbole vivant de l’accaparement des terres de l’agence et de son travail de nettoyage du territoire dans les villages.Bure_042016©Fabrice_Caterini_Inediz-1En août 2015 durant le campement une action anonyme avait ciblé le domicile de ce personnage unanimement craint ou détesté dans les villages alentours. Mais ce soir c’est un grand feu symbolique. « Un peu rapide », juge un participant, sourire en coin « on aurait pu imaginer un jury populaire avant de jeter le mannequin au feu ! Et ça aurait pu prendre du temps, car il y aurait beaucoup de choses à dire contre l’ANDRA et son négociateur foncier ! ».

La nuit se termine dans le rougeoiement des flammes, tandis qu’une boum improvisée est lancée en deux temps trois mouvements grâce à une rallonge, un poste, un groupe électrogène téméraire, une antenne minutieusement réglée et, surtout, Nostalgie et sa disco nocturne.

17 avril – « On ne nous atomisera jamais ! »

Rendez-vous est donné sur le terrain dès 9h du matin pour le petit déjeuner et la préparation des semis collectifs. Au bord du terrain, des paysans lèvent-tôt surveillent depuis l’aube un méchoui d’agneau qui cuit grâce aux braises du grand feu de la veille. Une longue file de voiture envahit peu à peu le bord du champ. « C’était pas facile de trouver, vous auriez pu mieux indiquer ! » : si beaucoup de gens connaissent la Maison de résistance à la poubelle nucléaire à Bure, c’est pour bien d’autres la première venue à proximité du terrain de l’ancienne gare de Luméville. Les sacs de pommes de terres, de céréales et les outils sont apportés peu à peu. Un premier tracteur arrive, applaudi par les manifestant-e-s, et creuse les sillons de la plantation rebelle. Un deuxième engin muni d’une remorque plateau se gare au bord du champ : « Il a beaucoup plu, ça va être compliqué de l’utiliser » explique l’agriculteur du coin qui l’a prêté. Il ne servira pas de la journée sinon pour le symbole.Bure_042016©Fabrice_Caterini_Inediz-3

Le 15 novembre, 12 tracteurs avaient ouvert le cortège pour semer 2 ha de céréales à un jet de pierres des locaux de l’ANDRA. Ce jour-ci, ils sont moins nombreux mais l’objectif n’est pas le même. Romain, paysan soutien des Vosges explique : « Pendant les Semis radieux du 15 novembre, on a fait des semis symboliques pour affirmer que les 3000 ha de terres accaparées par l’ANDRA, dont  300 retirées à l’usage des agriculteurs au nom des travaux préparatoires, devaient rester à vocation agricole et nourricière. Aujourd’hui, 6 mois après le début des travaux, fini le symbolique : on compte bien défendre notre champ de patates pour nourrir la révolte contre CIGEO ! » Le choix de la parcelle, qui jouxte l’espace d’organisation de l’ancienne Gare, n’est pas anodin : « Ca permettra de mieux surveiller le champ des nuisibles… les doryphores mais surtout l’ANDRA ! »

La présence de l’agence sur le terrain est diffuse, et ne se fait pas uniquement sentir par le ballet incessant des gendarmes au bord du champ. Car fin mars un tracteur a travaillé le sol de ce terrain mis en réserve par la SAFER pour le compte de l’ANDRA, sous les yeux médusés des paysans qui l’utilisaient auparavant. La même scène s’est produite sur l’ensemble des 300 ha concernés par les travaux préparatoires. Emmenés par Emmanuel Hance, l’ANDRA, non contente de s’accaparer les terres, a commencé à en travailler le sol, voire y faire des semailles. « C’est incroyable ! On ne comprend pas bien ce qu’ils veulent en faire ! Ils ont peut-être semé de l’herbe… » confie un agriculteur voisin, qui espérait sans doute, comme beaucoup d’autres, pouvoir récupérer ces terres pour la campagne du printemps. L’incertitude plane maintenant sur le devenir de ces terres pour la campagne d’hiver à partir de septembre 2016 : seront-elles rétrocédées aux agriculteurs-ices ? Si oui, pour combien de temps ? Où laisseront-elles places à d’autres travaux ?Bure_042016©Fabrice_Caterini_Inediz-2

A côté des planteur-euses de pomme de terres qui s’affairent sur les buttes modelées par les griffes du vieux tracteur, des dizaines de personnes découvrent le geste universel du semeur et tentent de se coordonner. « Alors on se met en ligne ? Attention, on y va ! ». Chacun y va de son commentaire sur le bon coup de poignet, la densité optimale, et demande parfois conseils aux paysans. Les graines de révolte jaillissent en pluie sur le champ bosselé par le labour de l’ANDRA. « Il faudrait passer un coup de cultivateur pour casser les mottes, mais la terre est trop lourde. On y reviendra dans quelques jours » explique un agriculteur d’un village d’à côté. « Pas facile de travailler le sol ici quand il a plu ! »

La parcelle est située dans un grand fond de vallée, une zone considérée par les paysan-ne-s comme « des terres à vache », aux sols lourds, humides, argileux. « Les prairies, progressivement remplacées par des céréales dans le reste de la zone à cause de la crise de l’élevage, y subsistent sur une grande partie. Avec ces actions on apprend aussi à découvrir les terres de la région et l’histoire de l’agriculture en discutant avec les paysans du coin. » commente Jean, du collectif Terres de Bure. « Il faudrait d’ailleurs penser à mettre quelques brebis un de ces quatre », plaisante un autre paysan en regardant un autre champ en friche un peu plus loin.Bure_042016©Fabrice_Caterini_Inediz-4

Pendant que les semeur-euses s’activent, les coups de marteaux retentissent au bord du champ. Une dizaine de personne s’activent depuis le matin et construisent « la cabane Vigipatate pour surveiller notre champ ! ». En quelques heures un petit cabanon muni d’une table de bar sort de terre, ainsi que des poteaux prêt à accueillir une plateforme de vigie. A 16h, le clairon de la trompette retentit. Cette fois ce n’est pas pour un bûcher mais pour ouvrir la marche à un homme en vête de costard et casque de chantier. « Je suis représentant de l’ANDRA et je suis venu ici pour inaugurer votre magnifique construction ! ». A sa main, une plaque du Groupement d’Intérêt Public, l’instrument qui distribue la manne financière de l’agence dans les villages pour acheter les consciences. Sous les huées rigolardes de la foule, l’ingénieur d’opérette cloue ce funeste symbole « l’ANDRA est très heureuse de financer votre initiative de semis collectif, dans la droite lignée de nos expositions culturelles et écologiques ».

DSC_0037La journée s’achève dans cette ambiance de fête. A 19h, éclairés par la lueur rasante du soleil crépusculaire qui se montre pour la première fois du week-end, les dernier-e-s- semeurs-euses installent au milieu du champ une large banderole.

DSC_0049« On ne nous atomisera jamais » : une affirmation, mais aussi une promesse. Celle de revenir très vite pour entretenir et récolter le champ. Celle de continuer de faire croître, souterrainement, les résistances à l’ANDRA et à son monde dans toutes les directions. Comme des rhizomes de patate !

Des semis radieux, pas des champs irradiés !

ANDRA, dégage !

 

Une écoute sonore de la journée

C’est dans l’excellente émission Actualité des luttes de Fréquence Paris Plurielle ==> ici !

Crédits photos et/ou vidéo
  • Fabrice Caterini, agence Inediz
  • Sebastien Bonetti
D’autres retours sur le week-end