Analyse sportive des Jeux Olympiques de la Forêt – Week-end de manifestation de « remise en état » du bois communal de Mandres-en-Barrois du 13 au 16 août.
A chaque pan de mur qui mord la poussière, le sol et l’air grondent de nos hurlements enlacés. Les sueurs et les mains s’arc-boutent aux sangles solidement arrimées, et, aux cris des « 1, 2, 3! » et « Allez ! », nous abattons, pan par pan, l’infâme mur de la honte d’1 km construit par les nucléocrates. En une journée, un « mouvement de masse(s) » de 400 personnes a conséquemment attenté à cet embêtant béton entêté. Et poursuivi, dans un effort serein, l’entreprise historique de démolition de l’ANDRA (et son monde (de merde)).
Dimanche 14 août, 10h du matin, ancienne gare de Luméville : une foule d’environ 200 participant-e-s au campement se masse derrière un tracteur et des dizaines de véhicules pour partir en convoi vers Mandres-en-Barrois puis rejoindre le bois communal. Aujourd’hui, c’est le jour 1 des « Jeux Olympiques de la Débourre » (version Lorraine du sabotage). Le fil conducteur de la journée : une manifestation de « remise en état » du bois Lejuc pour « aider l’ANDRA » à satisfaire à ses obligations de réhabilitation. Les épreuves ? « Replantation d’arbrisseaux, déblaiement et creusement de tranchées sur les tonnes de gravat étouffant les chemins, barricadages… ». Et bien sûr, l’épreuve-reine, la plus attendue de toutes : « la décoration du mur » (« de milles manières », était-il malicieusement précisé). Il était bien entendu rappelé l’inventivité exigée des participant-e-s mais aussi le contexte de l’épreuve, en particulier les manœuvres vicieuses de l’ANDRA et de l’équipe bleue. Sous un soleil de plomb, le cortège chauffé à blanc sinuait parmi la campagne meusienne, chantant des « Ne nous regardez pas, rejoignez nous ! » à tue-tête pour les vaches voisines.
Comme toujours dans les compétition de haut niveau, cette bonne forme physique et mentale ne devait rien au hasard : la veille du 13 août, l’équipe bariolée s’était déjà échauffée dans le bois à une centaine, pour mieux se rendre compte de la morphologie du terrain. Quelques un-e-s des compétiteurs, audacieux-euses, ont tenté avec brio la figure complexe de « l’incendie d’ALGECO », tandis que d’autres commençaient à transformer l’infâme rideau de béton en mausolée insolent pour nucléocrates impudents. Les choix tactiques de Corinne Simon, secrétaire générale de la Préfecture de Meuse et coach de l’équipe bleue adverse ont également permis à l’équipe bariolée de déployer tout son potentiel, puisqu’au dernier moment les flics se sont retirés de la forêt et ont opté pour la discrétion et de sournoises attaques (contrôles d’identité, saisies de matérielle, patrouilles incessantes) – « pour éviter les violences ».
« Et la forêt elle est à qui ? Elle est à nous ! » hurlent en cœur les différents cortèges qui se rejoignent sur la place de la mairie de Mandres, alors qu’une sono mobile crache à plein volume « Eye of the Tiger » et d’autres tubes ringard des années 90 – « une musique de salle de sport », entendra-t-on à juste titre, ce qui n’empêche pas les opposant-e-s de se trémousser. Après un rapide point sur les risques juridiques et l’attitude à adopter en cas de contrôle antidopage, le cortège se met en branle. Dans la queue du peloton, un sous-groupe de supporters tout de noir vêtu – certain-e-s commentateurs-ices ont cru déceler des « ultras de la tribune gauche » – s’attarde un peu sur la façade de la mairie de Mandres et réalise un surprenant « schlagage à l’exincteur » assorti d’un bris spontané de la porte d’entrée, une fois celui-ci dûment vidé. Une manière de mettre d’entrée de jeu une pression radicale sur les supporters de l’équipe ANDRA dans le bourg, dont certains, en particulier le maire du village Xavier Levet, ont autorisé l’échange du bois et le saccage du territoire via le conseil municipal en juillet 2015.
Une demie-heure de marche plus tard, de grands hululements ponctuent l’arrivée du cortège la forêt, dégagée de son chancre policier pour la première fois depuis le 7 juillet. De la cabane des vigiles – inspirée par l’architecture zadifiante de l’équipe bariolée – ne reste plus qu’un tas de morceaux de bois. Le terrain est encore chaud encore de l’entraînement de la veille : des toilettes sèches en plastiques gisent, renversées ; sur la plateforme, l’Algeco fume encore ; le portail en fer est dégondé. Bref : la voie est libre et toute l’équipe s’y engouffre en hurlant de joie. Malgré les exhortations des entraîneurs-euses à prendre le repas réglementaire, l’ensemble de l’équipe bariolée attaque directement le morceau de choix de la journée : « le mur ! Le mur ! ».
Bouts de bois, pioches, pieds de biches, barres métallique, loquet en métal de l’immense portail, des myriades de groupes entament l’offensive de milles manières, pendant que des balades de reconnaissances permettent de mesurer l’ampleur de la tâche : une course de fond de plus d’un km. Le défi est de taille : l’équipe bariolée aura-t-elle les ressources physiques, mentales, matérielles et créatives pour y faire face ? L’équipe bleue tentera-t-elle une percée surprise pendant la journée ? Notre reporter a tout suivi, et vous dévoile le tableau des médailles en exclusivité.
Résultat de la journée (et tableau des médailles)
Équipe bleue
Petite forme ce week-end pour les hommes emmenés par leur capitaine le commandant Bruno « je joue au Bon Flic » Dubois, expliquée il est vrai par les choix tactiques frileux de l’entraîneur. On remarquera tout de même quelques tentatives vicieuses : le vendredi 12 au soir, un barrage filtrant à Ribeaucourt contrôlant un convoi de près de 20 véhicules allant construire une vigie sur la parcelle prêtée d’un paysan à l’entrée nord de la forêt ; quelques percées d’estafettes locales directement à travers champ ; et surtout une attaque frontale d’un cortège de marcheurs-euses lundi 16 août, blessant un ami en lui roulant sur le pied. On pourra expliquer cette relative discrétion par les contraintes des propriétaires du club soucieux, sans doute, de ne pas trop cramer leurs joueurs appelés prochainement sur d’autres rencontres.
Équipe bariolée : moisson complète pour cette troisième manche de l’#Étéd’urgence à Bure !
Le record olympique de l’épreuve-reine « destruction de mur » est pulvérisé, avec près d’1 km abattu en environ 7h d’efforts, avec du matériel local ! Le jury a été particulièrement sensible à la créativité des joueurs et la capacité à utiliser tout et n’importe quoi (bouts de bois, bûches, vieilles barres de fer rouillées) en levier pour faire trembler les ruines du vieux monde. Mais c’est surtout la détermination butée à « finir le travail » – malgré des conditions de rémunération peu avantageuses – qui emporte le suffrage. Les menaces de sanctions pour manquement au règlement de sécurité ont par ailleurs rapidement été levées au vu du nombre important de casques, masques et autres lunettes de protection circulant sur zone.
Médaille d’argent pour l’opération de reboisement, légèrement boudée en quantité par les compétiteurs-euses, mais l’inventivité du geste explique ce résultat élevé : rien de moins qu’un « repiquage » des rejets du premier potager de l’occupation de Juin ! Plants de tomates et de courges affleurants de la terre retournée par les ouvriers et les sales bottes des flics.
Médaille d’or et record olympique à nouveau pulvérisé pour l’épreuve de « décoration du mur », avec une fresque subversive de près d’1 km où, de toutes les couleurs, l’humour l’a disputé à la subversion et la rage. Le jury a particulièrement relevé :
- l’étonnante pugnacité : malgré la disparition progressive de la première fresque au gré de la mise à bas du mur, les autres pans à terre étaient à nouveau redécoré aussi sec.
- des jeux de mots inoubliables : « la chute du Bure de Merlin », « nous sommes un mouvement de masse(s) », « All Cops Are Borders »
- un certain art du dévoilement du caractère essentiellement funéraire de l’existence des bétonneurs et leurs flics (ci-dessous respectivement « René » un des sympathiques vigie dont l’aquessen’ du sud et le manche de pioche ne finissent pas d’enjailler manifestant-e-s et promeneur-euses depuis des mois ; Emmanuel Hance, négociateur foncier de l’ANDRA et terreur locale dans les villages ; Eric Sutre, directeur de la communication de l’ANDRA, baroudeur, « Régis Debray du sud-Meuse » d’après un ami, etc).
- et bien entendu l’universelle solidarité révoltée contenue dans le vieux geste du « pétage de mur » : BURE, BERLIN, GAZA, MEXIQUE, CALAIS, NOUS DETRUIRONS LES MURS ET LES FRONTIERES.
Prix spécial, enfin, pour l’ensemble de la journée du lundi 15 août, où une partie des joueurs-euses sont revenues sur les lieux de l’épreuve pour finir le travail, mais également mettre en scène – dans un souci surprenant de l’appropriation de leur image, et avec une dose de second degré inhabituelle à ce niveau de la compétition où la grosse tête est facile – quelques touchantes saynètes de vie collective en forêt sabotée : « baigneureuses à poil et en cagoule à ANDRA plage et ses transats de béton », « casseurs-cueilleurs de mûrs sauvages », « funambules sur murs somnambules », « danses improvisées sur les ruines de l’ANDRA et du vieux monde », etc. L’ensemble de ces portraits sera bientôt disponible dans un court-métrage intitulé « A Bure-les-Bains, on Bois Lejus sans modération » sûrement promis à l’estime du public.
Au soir venu, l’équipe bariolée, satisfaite de sa performance, regagne en convoi son centre d’entraînement à l’ancienne gare de Luméville pour une fête de remise des prix, sous les hospices bienveillants d’un crépuscule écarlate. En sens inverse, une promeneuse du village passe avec son chien. « Vous allez voir le mur ? », demande les un-e-s. « Oui, mais je profite surtout de la forêt libérée ! » répond-elle, tout sourire, en s’engouffrant dans le bois. Ce soir et pour longtemps, le gris du mur fait pâle figure, l’honteux béton est tombé, la police se tait, et les arbres respirent.