Ce texte est un récit situé de la journée du 18 mai, entre Bure et Mandres-en-Barois (Meuse), l’épicentre de la contestation autour du bois Lejuc. Le 18 mai a eu lieu un nouveau vote du conseil municipal de Mandres pour confirmer la spoliation du bois communal au profit de l’Andra et de son projet démentiel de cimetière radioactif.
Mandres sous état de siège

Nous avons voulu quelque chose de plutôt festif et carnavalesque. Ça changeait du noir un peu lassant des manifs et qui ne correspond pas trop au terrain. Et puis la dérision, ça rappelle aussi la grotesque absurdité de ce vote où six ou sept conseillers municipaux comptent engager l’avenir d’un territoire (ou plutôt son absence d’avenir…). L’idée était d’abord de faire un repas en fanfare devant la mairie pour contester la tenue du conseil. Et si la situation s’y prêtait, on espérait bloquer les entrées de la mairie pour empêcher la mascarade (pseudo/anti-)démocratique de jouer sa partition.
Mais voilà, Mandres-en-Barois, ce village de 130 habitants du sud-Meuse, était complètement quadrillé, accaparé, infesté de flics. Même si on s’y attendait à moitié, entrer dans un petit village où t’attend une centaine de Gendarmes mobiles, où les rues autour de la mairie sont bouchées par des grilles anti-émeutes, ça fait tout drôle… Imaginez une « zone rouge » de sommet international en version miniature, au fin fond de la campagne française. Au coeur des métropoles capitalistes, ça devient une habitude, un tel siège policier (et ça l’était bien plus tôt dans les quartiers populaires). Mais dans ce tout petit village, il n’y a rien d’autre hormis les maisons privées qu’un lavoir et un garage… Alors voilà, notre petit cortège musical arrive et il n’y a presque pas âme qui vive dehors. Rien que des robots bleus qui occupent le village et semblent dire : ce soir, il ne doit rien se passer. Ils espéraient que par leur simple présence, ils réussiraient non seulement à décourager et intimider tou-tes les villageois-es, mais aussi à nous construire comme une menace qu’ils auraient pour mission de conjurer.
Premières sommations : nous allons faire usage de la farce

Que ce soit avec la banderole renforcée, des discours, des jeux ou des pissenlits, rien n’y fait, ça ne passe pas. A plusieurs reprises, un-e copain/copine fonce vers les flics qui s’effraient, et s’arrête quelques mètres avant pour ramasser une fleur. A un moment, 3 ou 4 copaines se mettent à quatre pattes : « alors on est des moutons, et on veut aller brouter de l’herbe devant la mairie ». Un pas, deux pas, patatras, l’équipe bleue pousse, bouscule fort et matraque. Un flic se casse la figure. Pendant se temps ça continue de pousser dans des corps-à-corps effrénés. Ce genre de situation est revenu un grand nombre de fois : on n’arrivait pas à passer mais on se protégeait les un-es les autres en parvenant à quelques gestes offensifs contre les barrages (à coups de bâtons, de pierres, de peinture, de cris et de chants).
« Non je ne reculerai pas, pas cette fois »

Dans la bouche de la désolante clique journalistique, ces situations sont invariablement décrites ainsi : « la tension est montée entre les manifestants et les forces de l’ordre ». Mais la « tension », c’est le nom qu’on donne à des affects qui n’arrivent pas à s’exprimer, qui restent coincés dans la gorge ou dans les muscles parce qu’ils ne trouvent pas de terrains pour se dire, se battre, se jouer ou se danser. Or cet après-midi là, il y avait peut-être tout sauf de la tension. Il y avait un conflit qui avait son terrain, ses amis et ses ennemis. Dans un tel conflit tout devient clair.
Quand les flics ont interrompu au mégaphone l’hommage que nous rendions à deux camarades morts récemment, notre sang a bouilli. Les flics ont poussé et matraqué, mais nous tenions, nous tenions. « Non je ne reculerai pas. Pas cette fois, pas aujourd’hui ! Je ne reculerai pas ! ». Dans de tels moments, la détermination ou la rage ne sont plus les mots du virilisme ou d’une propagande triomphaliste, mais des instincts, des afflux de sang. « On étaient tous et toutes là parce qu’on ne pouvait pas être ailleurs. » a dit une copine le lendemain. C’est le contraire d’être là par défaut ou par devoir. Nous étions infiniment libres à ce moment-là parce que nous n’avions pas d’autre choix que d’être ici. Alors non il n’y avait pas de tension, mais une incroyable puissance collective qui circulait partout. C’est parce qu’on prenait autant soin les un-es les autres qu’on pouvait repartir sur la première ou la deuxième ligne de contact. C’est comme si nos corps étaient tramés des histoires communes que nous avions traversé-es ensemble depuis des mois. Nous ressentions tou-te-s la douleur des coups, mais parfois nous n’y faisions presque plus attention, tant nous étions habité-es par la rage de vivre et de lutter. « Je sentais la présence des autres et je ne lâchais rien. J’avais l’impression d’avoir plus de force physique, et même d’être davantage ancrée dans le sol. ».

D’un point de vue immédiatement tactique, nous n’avons pas réussi à bloquer le conseil municipal, et celui-ci a confirmé l’échange du bois (6 voix contre 5). Pourtant ce jour là, nous étions si tout à fait présent-es à ce qu’il se passait concrètement que leur mascarade démocratique nous est presque passée au-dessus. Comparées à ce qui nous avait maintenu ensemble, ces questions stratégiques et de représentation nous paraissaient complètement dérisoires. En réalité, nous avons remporté une immense victoire sur nous-mêmes. Nous avons vécu à un degré rare ce que solidarité veut dire. Face à l’État qui crée du vide entre les êtres pour mieux les assagir, les mesurer, les contrôler, les mater, les produire… Face à la compétition et à la concurrence qui devrait normalement se livrer entre nous, nous avons affirmé d’un cri magique absolument le contraire. En rentrant sous les trombes d’eau de l’orage qui nous lavaient des gaz, de toutes nos tripes nous avons dit : nous sommes libres parce que nous sommes lié-es.
Appendices :
1/ Le lendemain, certain-es d’entre nous sont allé-es toquer aux portes des habitant-es de Mandres. A l’heure où ce texte est écrit, déjà 34 d’entre eux ont entrepris de contester en justice ce nouveau vote du conseil municipal (étant donné qu’un conseiller a voté alors qu’il n’en avait plus le droit, au vu de ses conflits d’intérêt). Les habitant-es du village semblent encore prêt-es à se battre.
2/ Du 19 au 26 juin, pour fêter les un an de l’occupation du bois Lejuc, on organise une grande semaine de chantiers, d’ateliers et d’action en forêt ! Infos à venir vite, save the date !
3/ D’ici là, après, et toujours, s’ils réoccupent, on les expulse :
- RDV le jour même à 18h à la maison de Résistance
- Convergence vers Bure dans les jours qui suivent
- Manif de réoccup dans les semaines qui suivent (infos sur vmc.camp)
- Appel à actions décentralisées contre les promoteurs et sous-traitants de la poubelle nucléaire : Vinci, Eiffage, Edf, Andra, Areva, le CEA…
L’affiche et le tract, à diffuser largement !
ANDRA DÉGAGE ! RÉSISTANCE ET SABOTAGE !
BOOM BOOM BOOM ! I WANT YOU IN MY WOOD !
Des chouettes hiboux de Bure.
