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Balade à travers champs

    Ce texte a été transmis à l’équipe automédia du camp VMC de Bure (juillet 2015), et est retranscrit ici tel que.

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Il est 13h et quelques. Le thermomètre affiche mille degrés à l’ombre, et on est une cinquantaine à se rassembler au point info : le programme indique « Balade à travers champs », et il paraît qu’il s’agit en fait d’une balade aux pieds de pylônes du coin, ça donne envie ! Le mot tourne que c’est « départ à 13h30 PÉTANTES », mais une partie des personnes qui ont préparé la balade ne sont pas encore là, alors on les attend. Assez vite il est proposé de faire un petit point, lors duquel on apprend que l’objectif de cette balade est de transmettre des savoirs et des expériences qui viennent notamment de luttes contre des lignes à Très Haute Tension (THT), et en l’occurrence des pratiques de déboulonnage et autres sabotages de pylônes. Il nous est rappelé de bien rester groupéEs, de porter attention aux potentielles présences de keufs, de ne surtout rien toucher sans gants, de ne pas prendre nos téléphones portables (géolocalisation, écoute…), et de ne pas prendre de papiers d’identité si on décide ensemble de refuser en bloc les contrôles d’identité, etc.
Comme d’hab, l’inertie de groupe nous fait décoller avec un peu de retard, mais ça y’est, c’est parti !
On croise très vite une estafette de gendarmerie, aucun doute sur le fait qu’ils aient été renseignés, d’ailleurs on en croisera bien d’autres plus tard…
PlusieurEs retardataires nous ont rattrapéEs dans les dix premières minutes de marche, mais ça y est, le binôme équipé de talkies chargé de clore le cortège est à l’arrière, et on traverse des champs, plein de champs ! Du blé coupé ras sur des dizaines d’hectares s’étalant sur les collines jusqu’à l’horizon, avec quelques îlots d’arbres bien touffus parsemés par-ci par-là, et c’est plutôt stylé comme endroit en fait! Le petit village avec ses toits de tuiles en contrebas fait très pittoresque, on se croirait dans « La petite maison dans la prairie » !!
Au bout de genre quarante minutes de marche, les personnes qui portent un peu la promenade nous proposent une pause dans un bois, lors de laquelle illes nous montrent quelques outils (clef à douille de 46, 35, 27, bras de levier, scies à métaux), en nous rappelant de bien toujours utiliser des gants pour les manipuler et de les nettoyer à l’acétone. On décide aussi qu’on ne fera aucune manipulation réelle si on estime qu’il y a trop de flics, ce qui en rassure plusieurEs 😉
Une personne questionne l’objectif du déboulonnage : est-ce pour faire tomber le pylône ? À quoi bon déboulonner pour le symbole ? L’explication tombe sous le sens, il s’agit là d’apprendre à se solidariser, à se sentir fortEs ensemble, à apprendre à se déplacer à plusieurs dizaines, à partager des savoirs et des pratiques, de plus, il s’agit aussi clairement de faire chier Rte en leur coûtant de l’argent et en faisant parler de la lutte.
C’est assez chouette, on papote, des personnes traduisent en anglais et en espagnol, et après un quart d’heure on repart en marche tranquille le long des bois et à travers champs. C’est assez agréable de voir qu’il y a une attention portée aux personnes qui marchent moins vite : on entend régulièrement l’équipe qui clôt le cortège dire à l’équipe qui ouvre de ralentir, on resserre le groupe, et on s’assure que tout le monde va bien.
Le groupe arrivant en haut d’une colline, on a le loisir de pouvoir observer les pylônes à quelques centaines de mètres. Au pied d’un, deux points noirs se déplacent dans les champs, on les identifie rapidement comme étant des moto-cross de keufs. Mais pas d’autres flics à l’horizon! L’avantage de ce coin, c’est que les pylônes sont au milieu des champs, inaccessibles en véhicule, les flics déploient donc des motos, mais c’est pas évident de transporter un car de CRS en moto 😉
Il fait toujours grave chaud!!
Au fur et à mesure qu’on avance, les deux motos bougent, mais ne tentent évidemment rien, juste nous observent. On vise donc le pylône, et en s’en rapprochant on voit débarquer au loin quatre ou cinq véhicules de gendarmerie, genre deux estafettes, une voiture banalisée, et deux camionettes. Pas la chance, la route passe loin du pylône! On trace donc tranquillement vers notre cible, qu’on atteint en une quinzaine de minutes. On commence alors la « leçon » par l’observation de la plaque d’identification, laquelle nous indique le numéro du pylône, la commune dont il dépend, le transformateur source, le transformateur de destination, et la tension dans les câbles (en l’occurrence 400 000 V). Puis on apprend quoi déboulonner, où scier, le rappel des gants pour ne pas laisser d’empreintes, et de nombreuses techniques et précautions : pour les boulons, il faut une douille de 46 à la base, puis 35 quand on remonte et 27, 26, 25 plus on va haut. Il est parfois utile d’avoir avec soi du dégrippant et de chauffer l’écrou avec une lampe à souder : ça facilite le travail! Il est d’ailleurs plus facile de déboulonner en maintenant l’écrou d’un côté avec une clé plate et en dévissant de l’autre côté avec une clé à cliquet et une rallonge (genre barre de métal). On apprend qu’il y a environ 700 boulons par pylône. C’est donc une sacrée entreprise de se mettre à tous les dévisser, et ça oblige à grimper et se rapprocher des câbles sous tension, ce qui peut être plutôt dangereux… De toutes façons on ne peut pas enlever tous les boulons, le poids de la structure pesant sur les boulons restants, les derniers seront coincés en force, et on ne pourra pas du tout les sortir. Par contre, si on enlève tous les boulons de la partie basse du pylône, il y a un endroit particulier qui peut lâcher si on exerce une pression dessus, sympathique n’est-ce pas?! Il y a aussi parfois l’opportunité de déboulonner des pylônes qui sont en cours de montage, à terre (ils sont d’abord assemblés au sol en trois ou quatre parties puis élevés et fixés en hauteur à l’aide d’une grue ou d’un hélicoptère), et dans cette situation on peut encore plus s’en donner à coeur joie, à très nombreux-ses, et disperser tous les éléments dans les espaces alentours! Remettre des boulons ne coûte pas bien cher à Rte, mais s’ils ne savent pas quels pylônes ont été déboulonnés, ils sont obligés de tous les vérifier, ça leur prend du temps et leur coûte de l’argent. Habituellement les installations sont vérifiées environ une fois par an.
En dehors du déboulonnage, il est aussi possible de scier la base des pieds, juste à la limite du plot en béton. Jusqu’à maintenant il a été remarqué que Rte se contente alors de ressouder les parties sciées, apparemment ça ne les oblige pas à reprendre toute la structure. Par contre s’il y a plusieurs points de sciage et plusieurs points de soudure il est possible qu’au bout d’un moment ça devienne plus compliqué pour eux.
Aussi, quand des cornières ou des barres ont été déboulonnées, on peut les tordre à la main jusqu’à une certaine taille de section. Ça oblige Rte à faire venir des éléments de rechange depuis un dépôt de matériel pour les remplacer, en plus de reboulonner.
On peut aussi retenir que si un pylône tombe, il va probablement entraîner dans sa chute les deux pylônes qui lui sont rattachés, provoquant possiblement un énorme arc électrique, très dangereux voire mortel pour qui se trouve à portée.
Tout le long de cette session, des personnes ont tenu un drap entre nous et les flics stationnés à environ 600m. Les 5 véhicules s’étant rapprochés sur une petite route, on peut se douter que ces enfoirés prenaient des photos, voire plus (on apprend d’ailleurs qu’il existe des moyens de capter les sons à très longue distance, même sans voir sa cible…), photos qu’ils auront plaisir à utiliser lors de procès (ce que nous ne souhaitons pas!). De l’autre côté les motards nous ont surveillés à cinquante mètres, mais se sont vite-fait barrés quand quelques-unEs d’entre nous sont alléEs vers eux… Je crois que certaines personnes ont été rassurées que ces motards ne soient pas insistants et que les voitures de keufs restent loin, cependant, on a choisi de ne rien mettre en pratique à ce moment, mais plutôt de continuer la marche vers le prochain pylône… Toujours sous un million de degrés au thermomètre, tout le monde avec un tissu sur la tête, voire devant le visage pour éviter les photos, on a fait une nouvelle pause de plusieurs minutes après 200 mètres de marche, afin de décider ensemble de la suite : la masse de flics s’était déplacée et mise entre nous et notre lointain objectif… On en a profité pour s’échanger encore quelques trucs et astuces, des histoires de procès, des lieux de chourre de matos, l’avancée de l’histoire du déboulonnage (qui a donc commencé avec des pylônes pas encore debout, que l’on pouvait déboulonner à la main, puis debouts mais pas en service, puis en service, etc), et d’autres anecdotes. On a fini par décider de rentrer au camp, sans prendre et faire prendre de risque. Le retour s’est fait sans encombre, les flics sont restés loins, tant mieux! On a fait le dernier kilomètre assez éparpilléEs mais pas trop, et avons fini sur un debrief apportant quelques nouveaux détails ainsi que des récits d’actions assez chouettes. J’ai l’impression que tout le monde a passé une bonne aprem, malgré le soleil qui frappait vraiment fort!
Vivement la prochaine !

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