Un petit billet aigre doux pour tou-te-s les ami-es présent-es et à venir
Ils n’ont que le Pouvoir, nous avons tout le reste nous ne sommes pas invulnérables. C’est d’ailleurs peut-être ce qui nous distingue le plus d’eux. Nous sommes vulnérables parce qu’ils nous ont frappé au cœur, parce qu’ils ont détruit nos lieux de vie, là où nous nous sommes aimé-es, battu-es, promenées-, réconforté-es, armé-es… Ils ont pénétré de force dans notre Maison, pour la seconde fois. Armés de la loi, de leurs matraques, de leurs sourires sadiques, armés surtout de cet inexécutable et si « légitime » rouleau compresseur de la brutalité : d’une brutalité qui se déploie selon des calibrages parfaitement mesurés, calculés, planifiés, avec son accompagnement de langage bureaucratique qui renvoie la responsabilité de la souffrance à la personne qui la subit. «Attention, vous allez vous faire mal », dit un robocop pendant qu’il écrase la gorge d’une amie.
Dans la Maison, ils nous ont arraché les un-es après les autres, à coups de matraques, de baffes, de clefs de bras et d’étranglements. Quand ils sont arrivés à mon tour, ils ont eu beau me tordre le bras, je ne me suis pas levé. Ils ont galéré à quatre ou six à me descendre jusqu’à la cour. Si je ne leur obéissais pas, ce n’était pas par courage. Je sentais la douleur, mais je sentais qu’elle devait faire partie de moi, qu’à ce moment-là, elle devait exister. J’ai senti qu’elle ferait partie de nous, de toute façon. J’ai senti sourdre tout au fond de mes tripes quelque chose qui embrassait cette douleur en même temps que tout le reste, en même temps que la douleur des ami-es, en même temps que la tristesse et la colère. J’ai senti une espèce de tension me traverser de part en part, des pieds à la tête, du passé à l’avenir, une corde tendue impossible à rompre. Ce n’était pas du courage. Ce n’était pas un « effort de volonté ». C’était le sentiment que face à l’inéluctable brutalité de la Police, je couvais quelque part un sentiment plus inexorable encore, que j’allais tenir face à Ca, me battre de mille et une façons, continuer à aimer et construire, et détruire s’il le fallait.
Mais si nous sommes inexorables, nous n’en sommes pas moins vulnérables. Nous avons été blessé-es. Certain-es d’entre nous sont éreinté-es. Nous ne sommes pas tout à fait uni-es. Savoir qu’il y a eu tant de rassemblements et de soutien partout en France et au-delà, ça me rassure. Bure est partout où la société nucléaire et militaire nous colonise. Mais J’ai besoin, dans ce petit village de Bure et ses alentours, de sentir que ma corde tendue ne crie pas seule dans le désert. J’ai besoin de sentir d’autres cordes, de l’amitié, du soin à nos échecs, de l’indulgence à nos tâtonnements, de la force quand je flanche, de la caresse quand je me romps. Et je suis prêt à donner et partager tout cela. Si je dois me battre, ce ne sera jamais seul avec ma conscience, mes idées ou mes « convictions ». S’il n’y a pas quelque chose de formidablement puissant qui me relie aux autres, si je ne sens pas que l’on partage un peu mes forces et mes faiblesses, que l’on partage mes « oui » et mes « non », je ne suis qu’une girouette ballottée par le vent. Une girouette qu’une bourrasque emporte et qui s’écrase. Comme le dit une amie, « ma détermination est très très forte mais ne tient qu’à un fil »…
je nous (at)tends.
Une catapulte.