Compilation des témoignages sur la perquisition du 20 septembre et le quotidien policier
COMPILATION DES TÉMOIGNAGES SUR LA PERQUISITION ET LA PRESSION POLICIÈRE
Une opération comme une perquisition d’ampleur laisse des traces, et bien plus que des bris de verres, un atelier retourné, des portes et des vitres fracturées, d’énormes quantités de matos collectif ou personnel saisi. Ça laisse des traces en nous, ça nous touche, ça nous brise le coeur là où on vit, on dort, on se réveille, on vibre, on mange ensemble… Dans des espaces qui sont notre quotidien, un cocon, là où on se sent protégé malgré l’omniprésence policière. D’un coup ils sont là, à agiter leur sale gueule juste notre nez, alors qu’on se réveille. Ils sont là, au coeur d’un lieu inébranlable et inviolable depuis plus de 12 ans.
Une perquiz’ comme celle-là ça ébranle, ça déchire. Ça isole. Physiquement, puisque des camarades ont du rester confiné dans leurs caravanes, leurs chambres, pendant 5 à 9h, le temps de la perquiz’. Et dans son ressenti.
Ces témoignages donnent un aperçu de ce que c’est que vivre une perquiz’, et restituent un peu de l’expérience commune, comme on range une cuisine ou un atelier dévasté, morceau par morceau, avec patience. Parce qu’on vit là.
À l’heure où on commence à taper ça, la nuit est tombée. Un long débrief s’est tenu en forêt. Il y avait quelque chose dans les regards qui était extrêmement fort, qui est difficile à nommer – peut-être même qu’il ne faut pas chercher à le faire.
La maison a déjà été un peu rangée, balayée. Le bureau informatique fait tout vide. L’atelier est encore en vrac. Les vitres sont toujours cassées. Mais sur la table les sales pattes des bleus sont déjà un vieux souvenir – là, maintenant, y’a plutôt un grand repas collectif et des gens qui trinquent en rigolant, « à la perquiz’ », et qui chantent, et qui rient.
La vie reprend coûte que coûte.
On essaiera d’enrichir cet article de témoignages au fur et à mesure, pour composer une histoire à plusieurs voix de cette journée malheureusement hors-norme – une de plus à Bure…
F., habitant-e de la Maison de Résistance depuis plus d’un an
« Une opération comme ça, ça te laisse très peu de temps pour agir, c’est impressionnant, d’un coup tu te réveilles, tu te retrouves dans l’urgence, t’es dans la mezzanine, dans le dortoir, chez toi, et tu te retrouves au milieu de keuf. Tu te rends compte que t’es la seule personne à pouvoir intervenir légalement, en tant que personne de la collégiale. C’est dur de réussir à verbaliser et imposer les choses aux flics. J’ai demandé plusieurs fois « comment ça se passe ? Est-ce que c’est une perquisition ? ». C’est resté lettre morte.
La première chose qu’ils ont fait c’est de prendre le contrôle de toute la maison. Ils ont forcé la porte de l’atelier, la porte de grange, la porte de la cuisine.
Ça s’est passé très rapidement, en 10 minutes c’était bouclé, toutes les pièces étaient remplies. T’es submergé par les gendarmes de tout les côtés, un mélange de PSIG, de GM, de brigade cynophile. T’arrives pas à savoir qui commande au début. Y’avait tellement de groupes et de brigades différentes qu’ils se paumaient. Y’a eu cette impression très particulière qu’ils connaissaient déjà les lieux approximativement, notamment par rapport à l’atelier.
Une fois que j’ai pu dire que j’étais membre de la collégiale de l’association Bure Zone Libre, j’ai pu circuler avec eux. J’ai vu où était les copain-e-s, certain-e-s allaient bien, d’autres partaient en contrôle d’identité, certain-e-s dans leur lit à invectiver les flics.
Tu te sens complètement dépossédé dans un lieu dans lequel tu vis depuis un an. Tu dois rester stoïque, alors qu’à des moments t’as juste envie de choper un truc pour leur faire du mal. T’as l’impession qu’ils sont en train de dépiauter tout ce que tu as construit.
Tu les vois fouiller, regarder partout…
À un moment de flottement j’ai pu jouer de la guitare, des mélodies de résistance… Tu te sens très seul pendant la journée, c’est surtout ça, une sensation de solitude. Je me suis retrouvé isolé avec les keufs pendant la journée.
J’ai l’impression que les gradés savaient la structure juridique de la maison, pas les petits.
Le premier tour que j’ai fait dans la maison c’est avec les chiens renifleurs d’explosifs…Y’avait parfois un manque de coordination entre eux. Quand ils faisaient la perquiz’ sur les scellés c’était complètement à l’arrache. Ils ont fait ça en mode bourrin, sinon y’en aurait eu pour trois jours. La première étape d’une perquiz’ c’est fouiller/rassembler. Après ils comptaient, faisaient l’inventaire, posaient les scellés.
On devait signer les étiquettes pour les scellés, j’ai imposé le fait que tant que tout ne serait pas écrit précisément sur les étiquettes je ne signerais pas. Ça m’a donné un peu de force devant tout leur manège à démonter ton lieu de vie.
C’est un lieu fort, où t’as vécu pas mal d’émotionnel, t’as vécus des trucs forts avec des gens. Et puis j’ai craqué quand ils sont partis. J’ai tellement tenu pendant, tellement de pression, une fois que c’est redescendu, qu’ils sont repartis, tu constates tranquillement l’ampleur des dégâts.
Dans la cuisine ils ont fouillé le haut de la cheminée etc. Ils ont à peine fouillé le salon. Y’avait des objectifs, des listes précises, sur lesquels se focaliser : l’atelier pour des trucs à montrer comme « craignos »,
Ils faisaient des petites piques régulières en mode « ah tiens ça c’est intéressant dis donc ! ». Des sous-entendus disant que j’étais à la manif’ du 15 août etc. Moi j’étais avec une équipe qui s’occupait précisément de dossier sur la manif du 15. Ils ne se concentraient pas que sur l’hôtel-restaurant.
N., habitant-e de la Maison de résistance à Bure depuis plus de 2 ans
« Moi quand ils m’ont isolé ils m’ont demandé comment on montait à l’étage…J’ai été isolé tout seul de 6h jusqu’à 11h30. »
« je me sens violé dans mon intimité, là où je vis. ».
« Ils m’ont pas posé de questions, ils ont tout de suite compris que c’était pas la peine. Ils m’ont dit « asseyez-vous là », et 2 GM sont restés pour me surveiller. J’avais juste le droit d’aller pisser ou fumer des clopes. J’entendais leurs discussions sur comment ils entraient dans la maison, comment l’un avait raté son film de la fracture de porte. Et l’autre qui dsait « ah oui je savais que la maison était ouverte. »
« après j’étais isolé, ils ont pris mes affaires perso, un tel et un ordi, et comme j’étais pas membre de la collégiale j’avais pas de raison de sortir. »
M., habitant-e de la Maison de résistance depuis un an
Je n’étais pas là quand ils ont débarqué. On est arrivés sur place à 6h45 avec des potes. Je me suis senti touchée dans mon coeur. Quand j’ai vu que je pouvais pas rentrer, et contacter les gens que j’aimais à l’intérieur, j’ai pété un câble, je pouvais plus m’arrêter, j’ai eu peur de me taper un outrage. Tu cries, tu reconnais même plus ta voix. Y’avait un keuf qui me regardait et me filmait, qui se foutait de ma gueule… j’avais envie de tout péter.
Je pouvais pas m’empêcher d’imaginer des scènes hyper violentes, des scènes de film. Des flics qui débarquent à l’aube alors que les gens dorment encore, simplement ça, c’est tellement violent. Et les flics en train de grouiller dans les pièces si familières de cette maison. J’avais besoin d’être à l’intérieur avec les autres, alors que ça servais pas à grand chose. Je voulais juste sentir leur chaleur.
Et puis j’ai fini par rentrer dans BZL, voir ces lieux que j’avais imaginé saccagés. Ils l’étaient, mais on était ensemble pour réparer. Les carreaux de la porte de la cuisine avaient étaient cassés, y avait des bouts de verre partout. Tout a été retourné partout… c’est un peu comme dans les films, mais c’est ici, là où tu vis.
Toute la journée plein de gens ont été séparés les un-e-s des autres, isolé-e-s et enfermés à l’intérieur de leur propre maison. Tu te sens impuissant-e, et ta colère s’accumule..
C’était tellement fort de se retrouver après. J’ai gueulé à des flics quand ils sont partis. « Votre répression elle marche pas, on s’aime encore plus maintenant. On vous hait à la mesure qu’on s’aime les un-e-s les autres, qu’on est encore plus fort-e-s. C’est contreproductif votre merde ! »
P., habitant du bois Lejuc
« Moi j’étais dans le grand chêne toute la journée, j’ai dormi, et j’ai pu lire mes livres. C’était, pour une fois, le privilège de la forêt !! »
L., habitante d’un appart à Mandres depuis quelques mois.
« Ils avaient les clés de chez nous » « Ils ont pointé les flingues droit sur nous. »
Un pote m’appelle en stress en me disant « y’a une perquiz à BZL », je me lève et réveille pote en lui disant la nouvelle. Je retourne à la fenêtre de la chambre, et là je vois une file de mecs casqués. Une trentaine environ. Genre avec les casques comme en manif. Tournés vers notre porte. « Ça c’est pour nous » je me dis. Je reviens et jlui dis, ça arrive. J’éteins la lumière de la chambre.
On entend vite fait un cliquetis dans la chambre, on est pas sûr, on se dit « ils sont là ou pas ? ». Et d’un coup un bruit précipité dans les escaliers et hurlent, une fois dedans « GENDARMERIE NATIONALE, PERQUISITION EN COURS, NE BOUGEZ PAS ! ». Ils ont traversé le salon en silence et grosse pression après.
Ils avançaient dans l’escalier avec leur flingue, en mode film, « NE BOUGEZ PAS, NE BOUGEZ PAS. » Une fois qu’ils étaient en haut ils nous ont entouré et dit « Dans la chambre !! Ne bougez pas !! ». Je leur gueule « qu’est ce que vous foutez là, vous avez un papier ? Vous avez pas le droit !! ». Ils n’en ont rien à foutre.
Je pense que c’est le PSIG qui a fait l’intervention du début, et après c’est des gars en civil qui sont venus prendre nos identités. Toujours entourés de 5 robocops chacun. Je redemande le papier et ils disaient « plus tard, ça arrive ! ». Je redemande les papiers à l’OPJ. Je cherche ma pièce d’identité partout dans la chambre… parce que je suis bordélique. Je finis par donner ma carte de train, de toute façon ils connaissent parfaitement votre identité.
Quand les OPJ la reçoit il me dit « ah c’est vous ****** ! ». Il finit par me filer la commission rogatoire. L’accusation c’est : « Association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un ou plusieurs délits punis d’une peine supérieure à 10 ans, dégradation volontaire d’un bien, par moyen incendiaire. » Quelque chose comme ça.
Mais sur ce papier y’a pas d’adresses, de nom, rien ne justifie qu’ils doivent être ici. « vous vous êtes trompé, vous aurez du aller chez le voisin ! ».
Ils ont d’abord ratissé tout le haut de l’appart’. T’as les OPJ qui font un tri, qui mettent de côté dés que ça a l’air intéressant pour eux. Par ex dans la chambre des papiers, des bouts de papier avec des numéros de téléphone dessus, des comptes-rendus de réunions, des dizaines de carnets, des clés USB, des cartes sim, ordinateur, téléphone.
J’ai plus rien, ça sert plus à rien d’essayer de me contacter.
Ils s’amusent aussi à feuilleter toutes les BDS, regarder sous le lit, sous le matelas, derrière les meubles.
Dés qu’ils mettent un truc de côté t’as une femme – la seule de l’équipe d’ailleurs – qui consignait dans un carnet ce que c’était.
Ensuite ils sont descendu en bas, ils avaient installé leur bureau sur la table de la cuisine en bas. Ils étaient avec un ordinateur pour établir le PV, et tout le matériel pour sceller.
Chaque truc ils les prennent et marquent sur le P.V., font des petits cartons à l’ordi et mettent tout sur scellé.
Il fallait toujours que y’en ai un de nous deux qui soit là, on buvait des cafés et on bouffait des gâteaux. On pouvait aller voir nos potes dans la maison juste en face, qui étaient assis sur le trottoir à filmer les flics.
J’avais désossé mon téléphone, enlevé la carte SIM, mais j’ai fait la connerie de le laisser sur le lit.
Le chargé du matos informatique des flics, un certain Stéphane, tenait absolument à me montrer les prouesses de son nouveau joujou « Soit je récupère toutes les données maintenant et je te le rends après, soit je te l’embarque et tu le reverras pas avant plusieurs mois. » Il était tout guilleret. Il a été cherché son matos pendant 3/4 d’heure. Avant de se rendre compte que ça marchait pas. Puis il a mis le téléphone sous scellé.
Il a vérifié tous les CD-ROM sur lesquels y’avait rien marqué. À un moment il voit un CD d’installation de Debian et crie « ah c’est génial ça, on peut complètement s’anonymiser, on retrouve rien dessus ». Et il explique à son collègue, hyper enthousiaste, comment il utilise ça pour s’anonymiser.
À un moment donné il tombe sur un sac d’une dizaine de clés USB. « Wouah ! ». Du coup il va chercher son tout nouveau matos spécial police, payé par le contribuable et tout et tout.Et il a littéralement passé une demie-heure à chercher le bon câble le plus basique pour une clé USB. Du coup toutes ses tentatives de me vanter la prouesse informatique de la police étaient plutôt édifiantes. Ça a duré 5h, pour un appart d’environ 50 m². 8H pour la Maison de résistance, qui est au moins 8 fois plus grande.
À un moment ils veulent prendre un papier concernant la manif du 18 février. Ça concernait une autre instruction en cours, du coup ils devaient absolument appeler le Proc, ça a pris des plombes, c’est une juge des libertés qui a fait le papier, comme quoi on n’était pas coopératif et qu’on risquait de détruire des pièces, donc il fallait les détruire tout de suite.
Le truc un peu fou c’est qu’ils avaient un double des clés. Ce que je crains le plus, maintenant, c’est qu’on soient mis sous écoute. Je serais pas tranquille dans cet appart tant que je serais pas sûre de l’être. S’ils ont les clés ils sont venus n’importe quand.
T., gravitant de passage à la Maison de résistance
À un moment un flic nous demande d’attacher un chien. Vu que c’est un bébé chien ça prend du temps. Et le flic il nous dit « vous savez, on a une arme, on peut s’en servir ». « Un chien c’est une arme, si il mort c’est une arme : c’est normal qu’on vous dise ça ! ».
G., habitant de Mandres depuis quelques mois
À l’issue de la perquisition dans le communiqué de la Préfecture on lit qu’ils ont trouvé des « armes de gros calibres ». C’est complètement dingue, on ne sait pas à quoi ils font référence. Ils atténuent leur violence et hyperbolisent la notre…
Pendant ce temps là, ils débarquent chez nous en nous pointant du doigt avec leurs Famas.
La violence policière je la vis au quotidien depuis que je suis installé là. Je n’imagine plus mon quotidien sans la police, elle rythme ma vie. Elle filme les moindres instants que je fais, que je passe de la peinture dans ma maison, que je jardine, que je boive une bière avec des ami-e-s, ils me prennent en photo, que je m’endorme en étant réveillé à 2h du mat par leur lampe torche.
On dit souvent en blaguant « on se radicalise sur internet ». Mais en fait c’est avec leur présence qu’on se radicalise. Ça pousse à une rage, une haine, que je ne ressentais pas avant et aujourd’hui qui est là, dans mes tripes et mon coeur. Mon évolution avec la police a changé, avant je leur parlais beaucoup en espérant les convaincre que le projet était mauvais, maintenant je ne veux plus leur parler. Je ne crois plus au dialogue.
Comme le disait un voisin, « ne vous étonnez pas après si on vous lance des pierres ». Pour moi à travers cette stratégie de tension ils sont en train de créer les conditions de l’amplification de la révolte.
Tu sens l’exaspération quotidienne chez les gens du coin qui en parlent de plus en plus, de la violence, des flics, comme une litanie.
La Préfecture joue le jeu du pourrissement et fait tout pour que ça dégénère.
L., gravitant de passage à la Maison de résistance
C’est un peu exutoire pour moi de faire ce témoignage. Ça arrive hyper tôt par rapport à mon histoire ici et j’ai pas tellement de ressources affectives fortes encore. C’est hyper compliqué à détricoter. Déjà c’est ma première perquiz…
En fait non… les deux trucs qui m’ont révolté, en fait, dans les moyens développés tu vois clairement l’héritage de la police et de ses pratiques. Le nombre qu’ils étaient et les moyens déployés tu vois directement que ça alimente un commerce. La quantité de moyen, pour le peu qu’on était dans la maison… Forcément, c’était violent.
Je trouve que c’est vachement différent de choisir une confrontation, occuper quelque part, aller en manif , donner une fausse identité. Mais là c’est vraiment l’état policier qui s’invite dans ton lit. Et ça c’est… ouf ! Ça m’a fait prendre conscience de ma position de blanc issu de la petite bourgeoisie, et ressentir ce que ça fait de vivre dans des quartiers où t’as pas le choix de cette confrontation. À la fois c’est traumatisant, à la fois tu prends conscience que « ah ouais en fait, y’a des gens qui vivent ça dans leur quotidien ». et du coup c’est…
Ça m’amène des questionnements de ouf. Plus je grandis moins j’ai envie que le militantisme soit « une partie de moi ». Émotionnellement je suis plutôt quelqu’un d’assez non-violent, j’ai un rapport hyper émotif au monde. C’est ça qui me tire dans la vie. Et vivre des trucs comme ça… ça dépasse… y’a une partie de moi qui se demande si je suis capable de le gérer. Je sais pas encore si je suis capable de le gérer. Y’a ce truc, tu retrouves tes affaires… mais c’est vraiment un vol légal. Tu t’es fait dépouiller ton sac et t’as rien à dire.
Je commençais à découvrir un peu les énergies qu’il y a là, le truc positif qui se construit autour de cette lutte. Et aujourd’hui c’était hyper violent, ce truc de réalité où en fait, bah nan… sentir à ce point l’État policier, toutes les logiques de répression c’est ouf. C’est pas la même violence qu’un coup de matraque ou une grenade, ça te marque dans ton esprit.
Faut avoir un truc vachement fort en terme de détermination pour rester et pour créer. J’ai eu envie de partir… et puis je me suis assis dans la cuisine et me suis dit « ah en fait non, j’ai envie d’aller à Nancy ». J’ai cette année fait un virage dans ma vie, je voulais pas que ça aille trop vite, que ça soit une fuite. Là ça me fait un peu peur.
Dés fois je me dit que personne peut vraiment comprendre. Dans ce collectif je sens une force à faire d’un moment hyper triste et sale quelque chose d’assez positif. Voir que des gens ont fait le déplacement dans la journée c’est assez cool.
Y’a un truc ici que j’ai jamais senti dans les autres milieux, les autres endroits. Que ça soit des milieux autonomes, le monde associatif, y’a un truc très différent ici. Ce genre de trucs tu sais jamais si tu es prêt à l’affronter et si tu sais réagir. Et là, en fait, ça va. Et j’ai envie de rester quand même. C’est hyper bizarre de vivre un truc comme ça sans ses proches, mais je me découvre des forces que je soupçonnais pas.
A. Habitant.e du Bois et de la Maison
Réveillée par des coups sur la porte de la caravane. Je vois les lumières blanches à travers les fenêtres. On crie « Ouvrez ! Ouvrez! » – »Qui ce qui se passe ? » – »Ouvrez tout de suite! »
J’ouvre, je suis en pyjama, éblouie par des spots et flashs, ils sont déjà en train de me filmer.
« Vous êtes seule ? » – »Oui. » « Restez ici, ne sortez pas, assise là. » Un flic posté pour me surveiller pendant que je fume ma clope. « Un OPJ va venir vous expliquer ce qui se passe ». Je m’habille, attend 40 minutes. J’en interpelle certains, demande où est l’OPJ en question. Pas de réponse, des sourires moqueurs. De l’intérieur j’entends, verre qui se brise, bois des portes de la grange qui craque et cède, portes des camions vides ouverts au pied-de-biche.
De ma porte, me penche le plus possible en gardant les pieds à l’intérieur, je compte 6 gros fourgons et une 4Oaine d’officiers.
Après l’attente, ils arrivent à 7 binômes, en rang le long de la caravane, ils se massent devant moi , 3 caméras qui me fixent, je suis prise par l’absurde. « Bon mademoiselle, on va vous demander de décliner votre identité. Si on peut la vérifier il n’y aura pas de problèmes. » Pas les mêmes qui ceux qui m’ont réveillée en hurlant. Les voir comme ça, me fixer avec toutes ces paires d’yeux et caméras, je n’ai pas pu. Je refuse. Ne pas leur donner la satisfaction.M’expliquent gentiment qu’ils vont devoir m’amener au poste, ce serait plus simple pour vous de coopérer, où est votre carte d’identité elle est à vous cette caravane ? Je hausse les épaules. Insupportable, ces êtres vides qui piétinent notre lieu de vie, marchent chez nous comme des soldats sur un empire, tellement fiers d’eux-même, de nous avoir pris par surprise, de nous rendre impuissantes. Qui osent venir exiger mon identité comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Incapables de comprendre pourquoi je dis non.
Il fait froid. Je fume des clopes, une chape de brume posée sur la rue devant moi, éclairés par les beaux lampadaires neuf payés par l’ANDRA. Même lumière blanche aveuglante que celle des flics.Suis en pantoufles, demande à aller chercher mes chaussures. Celui posté à côté de moi refuse. Refuse aussi encore de me dire ce qui se passe. Part à la gendarmerie. En contournant la maison, vois deux copaines dans la cuisine éclairée, l’air hébété, la pièce est envahie de flics. Colère. Je voudrais leur crier un mot, quelque chose, mais quoi ? Le temps d’atteindre le véhicule, je compte 17 fourgons et au moins autant de voitures. Flics en bleu, flics en noir, flics en civil.
Voitures aussi sur toute la route jusqu’à Ribeaucourt, où ils sont postés au croisement menant à vigie nord. J’imagine qu’ils sont en train d’expulser la forêt, que nos cabanes et barricades brûlent. Je pense au désarroi et à la peur des potes. Et encore, la haine de ces hommes-machines qui abandonnent leur libre arbitre pour obéir à des ordres. Toute la journée j’entends « On exécute juste les ordres. »
Je les oblige à moitié à me ramener après, je ne pouvais pas quand même rentrer en pantoufles. J’apprends au téléphone qu’ils sont en train de perquisitionner la maison, et 4 autres de nos lieux. Ils me laissent en haut de la rue, il est plus de midi, le soleil chauffe pour la première fois depuis des semaines. Je marche dans l’attente terrible de voir. Des copaines sur le trottoir, face à une ligne d’eux. Tout le monde a faim. Je veux aller aux toilettes, ils m’en empêchent, sans dire pourquoi, sans me regarder dans les yeux.
Pareil plus tard, pour aller remplir ma bouteille d’eau. « Vous n’avez qu’à ne pas boire. » Une voisine accepte, et revient avec trois bouteilles, « J’espère que ce sera assez. » Un peu de douceur.
Pendant cette après-midi, des potes passent nous voir, on rit pour décompresser, on pleure devant la violence de l’intrusion, on se prend dans nos bras, partage du chocolat. On guette de loin ce qui se passe. Ce qui fait le plus de bien, c’est de voir les potes retenus à l’intérieur qui passent par moments. On est trop loin pour se parler, alors on crie des petits riens, on fait des gestes. On tient pour ces regards, ces sourires. La vie collective au quotidien peut être dure, elle vient avec son lot de conflits et de contraintes, mais aujourd’hui nous ressentons la même peine, la même douleur, à les voir violer notre intimité, saccager nos espaces, parader là où l’on mange, pleure, rit, dort, s’engueule, ces endroits empreints de nous. Et de les voir rire et se moquer, se prendre à parti, ils nous trouvent ridicules. Mais nous, on sait que ce qu’on vit est bien plus vrai que ne le seront jamais toutes leurs petites vies fermées, scellées d’ignorance et de bêtise.
Au bout de plusieurs heures, je tempête assez pour qu’ils m’accordent (grande générosité) le droit d’aller aux toilettes.Et avec escorte ! Je fais remarquer à mon chaperon la gloire qu’il se doit de ressentir, chargé d’une pareille mission. Regard vide.
Et là enfin, je peux à nouveau respirer. D’abord de loin, leurs visages fatigués, traits blancs et tirés. Je réalise que comme moi, iels n’ont pas dormi, pas mangé (alors que les plateau-repas courent côté bleu), qu’iels ressentent comme moi la douleur de ce qui arrive à notre maison. Et puis, nos regards se croisent, le soulagement de se voir.
Une copine arrive vers moi, on s’engueulait la veille au soir. Elle m’ »ouvre les bras et on s’enlace, et ça fait du bien. Quelques rapides touchers, mots, sourires, pendant que mon escorte me pousse à avancer. A chaque visage, le soulagement, je compte, le temps d’arriver aux toilettes je sais que tout le monde est là, choquées mais safe. Pour l’instant ça me suffit.